La magie du kaki - Le Manger (2024)

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En Asie, en Italie et dans la région de Nice, on aime le kaki, on l’adore, on l’admire. Et puis ailleurs, on s’en fout : en Charente par exemple, on les laisse pourrir sur place au lieu de savourer cette chair étrange, quelque part entre le glissant, le gluant et l’astringent, magnifiquement sucrée et translucide. Mal aimé ou vénéré, ce fruit venu d’Extrême-Orient assez méconnu est à découvrir pour ses arômes uniques, ses vertus médicinales et sa très jolie histoire.

Kaki/カキ, c’est un mot japonais. Logique, car il s’agit du fruit du plaqueminier du Japon(Diospyros kaki), en japonais kaki no ki /カキノキ, un ravissant petit arbre aux grandes feuilles qui rougit puis se dénude à l’automne, offrant un charmant spectacle. Lorsque toutes les feuilles sont tombées, il ne reste plus que les nombreux fruits dans l’arbre, mûrs à point, d’une superbe couleur orangée.

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Plaqueminier dans un champ d’oliviers, Vallauris © Camille Oger

On peut alors les cueillir, mais il faut avoir la main légère car leur peau translucide est d’une finesse extraordinaire. Sous la moindre pression, elle cède. Ce n’est cependant pas nécessairement grave : tant qu’il n’y a pas d’occlusion de chair ou de jus, le fruit pourra être conservé en l’état.

Cette fragilité fait toute la beauté du fruit et l’a longtemps élevé contre toute logique marchande : il ne se conserve pas longtemps, ne voyage pas, ne supporte pas d’être manipulé. C’est un fruit sauvage, fugace, sublime. Du moins, c’est ainsi qu’on le voit dans le sud-est de la France. Ailleurs, c’est une autre histoire.

Le fruit fétiche des Chinois

A l’origine, le kaki ne vient pas du Japon mais de Chine, où on l’appelle shizi /柿子. Botaniquement parlant, c’est une baie, comme le grain de raisin, l’avocat ou la tomate.Ses 2000 ans d’interaction avec l’homme en font l’une des premières plantes cultivées.

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Chair du kaki, merveille des merveilles © Camille Oger

L’Empire du milieu s’est vite pris d’amour pour cet arbre de la famille de l’ébène et sa culture s’est développée dans les pays alentour, particulièrement en Corée – où on l’appelle gam /감–et au Japon. C’est d’ailleurs le fruit national de la Chine et de la Corée. Il y existe plusieurs milliers de variétés de plaqueminiers (voir ici les variétés japonaises), résistant plus ou moins bien au froid. On en trouve aussi bien dans les régions chaudes des Philippines que dans les montagnes des Alpes japonaises.

Parmi ces variétés, certaines sont douces et peuvent être consommées directement ; d’autres sont terriblement astringentes et ne peuvent se manger que très mûres ou séchées. Les Chinois ont rapidement compris cela et ont entrepris le séchage des kakis qui s’est également développé au Japon et en Corée, selon des techniques différentes. Le produit fini est appeléhoshigaki /干し柿au Japon, shi-bing /柿饼en Chine, etgotgam /곶감en Corée.

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Kaki séché à la chinoise © Camille Oger

Au Japon, on fume traditionnellement les fruits au soufre avant de les peler et de les entreposer au soleil.En Chine, le fruit est généralement séché à plat, tandis qu’il est suspendu au Japon. Sa forme finale est donc très différente, ronde en Chine, distendue au Japon. Lors du séchage, on frotte délicatement leur surface, ce qui va laisser de minuscules entailles et permettre au sucre contenu dans le fruit de remonter vers sa surface. Il va se cristalliser à l’extérieur, formant une sorte de peau blanchâtre irrégulière. On dirait que le kaki est recouvert de givre. Si vous voulez essayer à la maison, c’est facile, la recette est ici.

Du kaki pour tout sucre

Le séchage a plusieurs avantages : il permet de conserver les kakis et de les faire voyager, car ils ont perdu leur fragilité et sont nettement plus compacts. Mais surtout, cette technique a pour effet d’adoucir les variétés les plus âpres, qui deviennent délicieusem*nt douces. C’était capital il y a quelques siècles : jusqu’à la maîtrise des techniques d’extraction du sucre de canne dans l’archipel nippon au XVIIe siècle par exemple, le kaki séché était le seul édulcorant disponible au Japon, le miel étant d’une grande rareté.

Le kaki séché a également d’autres usages : en Corée, on utilise les fruits secs pour faire le sujeonggwa, un punch à la cannelle et au gingembre. Les kakis fermentés quant à eux finiront en vinaigre, le gamsikcho /감식초, réputé très bon pour la santé.

En Europe, pendant ce temps, on mangeait de pommes, des poires, et toujours pas de kaki à l’horizon. On connaissait son cousin, le plaqueminier lotier ouDiospyros lotus – fruit des dieux, rien que ça – depuis l’Antiquité, dont le fruit rappelle un croisem*nt entre une prune et une date, mais le Diospyros kaki était inconnu au bataillon.

De la Chine à l’Italie, car l’Italie fut un jour un grand pays

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Matteo Ricci par Emmanuel Pereira, né Yu Wen-hui, 1610

Il a fallu attendre des siècles pour découvrir ce fruit. On doit ses premières descriptions à un missionnaire jésuite italien, Matteo Ricci. En effet, on a tendance à l’oublier, mais le pays occidental le plus proche de la Chine a très longtemps été l’Italie.

Au Millennium Center de Pékin, un bas-relief consacré à l’histoire de la Chine ne représente que deux étrangers : Marco Polo et Matteo Ricci. C’est pourquoi tant de denrées alimentaires typiquement chinoises ont été introduites très tôt dans le régime italien, comme lescrèmes glacées, les nèfles et autres kakis. Pour ce qui est des pâtes, désolée, c’est un mythe, elles existaient déjà en Europe.

Matteo Ricci le jésuite a terminé sa formation de prêtre en Inde avant d’embarquer pour la Chine à la fin du XVIe siècle. Invité à la cour de l’empereur, il a bâti des ponts entre la Chine et l’Europe, transmettant son savoir en matière d’horlogerie, d’astronomie et de musique, et engrangeant des connaissances inédites en Occident.

La géographie, la cartographie (voir la carte ci-dessous, un peu destroy mais top classe pour l’époque, en grand format ici), la botanique, la linguistique et de nombreux autres domaines ont fait des pas de géant grâce à lui et il a plus que jamais renforcé les liens sino-italiens, permettant d’introduire de nouveaux produits venus d’Orient dans son pays d’origine.

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Carte du monde par Matteo Ricci, 1602

Rapporté en Italie, le plaqueminier est heureux : il prospère et la population locale l’adore. Pendant ce temps, le reste de l’Europe est à la traîne. En France, on n’est pas particulièrement copain avec les Chinois et on ignore l’existence du kaki jusqu’à l’ouverture du Japon aux étrangers au XIXe siècle. Nous lui avons ainsi emprunté son nom nippon. Cette découverte tardive vaut au fruit, aujourd’hui encore dans de nombreuses régions françaises, d’être méconnu voire boudé.

Le grand boom mondial du kaki

Chez moi, dans le pays niçois, on n’est pas complètement français. Appartenant autrefois au royaume de Piémont-Sardaigne, le comté a été rattaché à la France en 1860. Très italienne dans ses traditions et ses ressources, cette partie de la France a connu et aimé le kaki bien avant les autres. Nous le cultivons et le commercialisons à échelle locale, il est très apprécié et donc assez cher.

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Kakis azuréens © Camille Oger

Toutefois, depuis quelques années, le kaki quitte sa niche azuréenne et prend un essor sans précédent. Grâce à l’apparition de nouveaux cultivars bien moins fragiles et traités chimiquement pour perdre leur astringence, il peut à présent se transporter plus facilement et de nombreux pays au climat doux se sont lancés dans sa culture, comme Israël, la Nouvelle-Zélande ou l’Espagne. Les prix baissent, la qualité aussi, mais les quantités se multiplient à un rythme effrayant.

D’après la FAO, les principaux producteurs aujourd’hui sont la Chine, qui cultive chaque année plus de 3 millions de tonnes de fruits, la Corée, loin derrière avec 390 611 tonnes, le Japon, le Brésil et l’Azerbaïdjan. L’Italie n’arrive qu’en sixième position, et les trois premiers pays à eux seuls assurent 90% de la production mondiale.

Si l’on compare ces chiffres à ceux des années 1960, on se rend compte de la progression colossale du kaki à l’échelle mondiale : en 1961, la Chine en produisait moins de 500 000 tonnes, suivie par le Japon et l’Italie. Il existait une petite production en Corée et au Brésil, un minuscule apport iranien, et le reste était quasi-anecdotique.

Ce n’est pas un fruit, c’est un nectar

Chaque pays a sa spécialité, les cultivars différant selon les climats et les goûts locaux. Les variétés astringentes se consomment séchées ou blettes, lorsque leur peau devient translucide. Lorsqu’ils sont verts, les fruits sont terriblement astringents en raison de leur forte teneur en tanins. En mûrissant, ils gagnent peu à peu une douceur exceptionnelle.

Lorsqu’ils sont archimûrs, sur le point de craquer, ils sont prêts. Et là, toute la magie du kaki s’exprime : ce n’est pas tout à fait un fruit, pas tout à fait un jus : c’est un nectar, une véritable confiture naturelle, qui rappelle le miel, et très vaguement l’abricot.La chair n’est pas hom*ogène, offrant des zones fibreuses voire rêches, d’autres parfaitement lisses et glissantes, et tout un univers de nuances gluantes ou fondantes entre les deux, baigné par un jus clair plus ou moins abondant. Les arômes sont complexes, légèrement acidulés, merveilleusem*nt sucrés.

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Textures fabuleuses d’un kaki italien © Camille Oger

Parmi ces variétés PCA (Pollination Constant Astringent, en françaisastringent, constant à la pollinisation), la variété suprême au Japon est le Hachiya /蜂屋, qui présente une jolie forme de cœur et une couleur sombre. Son calibre est gros, il pèse en moyenne 200 grammes. Fruit noble par excellence pour les Japonais, ce kaki demande beaucoup d’efforts et sa production est par conséquent limitée. Les prix sont ainsi forcément élevés. Lorsqu’on en achète un frais, il sera généralement vendu dans une jolie boîte en bois et coûtera entre 1000 et 3000 yens, soit de 10 à 30 euros pièce.

En France, on apprécie particulièrement le kaki Muscat, de taille équivalente à une petite pomme, d’une belle couleur assez sombre. Il est relativement peu juteux, ses arômes sont concentrés, profonds et complexes et selon sa provenance, il peut présenter des petit* noyaux noirs particulièrement agréables à détacher de la chair avec la langue.

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Kaki Muscat sur l’arbre © Camille Oger

Tout dépend du champ de kaki d’origine : si les fruits y ont été obtenus par fécondation, les noyaux seront là. Si au contraire l’arbre s’est auto-fécondé, point de graines, et la filière agronome tend la production dans ce sens car le consommateur n’aime pas les pépins, que ce soit dans la pastèque, le raisin etc.

Les variétés non astringentes, le bonheur des commerçants

Chez moi, de nombreux plaqueminiers proviennent de variétés plus communes en Italie qu’en France, comme le Farmacista Cicilia, plus petit, plus rond que le Muscat, ou le Tipo, plus gros et plus sphérique.Mais les kakis que l’on trouve dans nos jardins sont loin d’être les variétés les plus porteuses au niveau commercial.

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Kaki espagnol Persimon à côté d’un kaki italien Tipo © Camille Oger

Pour les producteurs, le kaki PCA est contraignant car trop fragile et plus cher que les variétés non astringentes, développées plus récemment, qui sont en plein boom. Certaines sont non astringentes naturellement (PCNA, Pollination Constant Non Astringent), fruits de mutations botaniques spontanées ou induites par l’homme, comme le Fuyu au Japon, dit “kaki pomme”, croquant, résistant au froid, et très rentable pour les producteurs. Il est légèrement aplati et possède presque quatre faces.

Plus récemment, dans les années 1990 en Espagne, on a élaboré le Persimon, un PCNA aussi connu sous l’appellation d’origine contrôléeKaki de la Ribera du Xùquer. Oblong, très gros – comme les plus grosses pommes – et orange clair, il se mange en entier, peau comprise. Malheureusem*nt, il est gustativement médiocre car trop doux, avec une note de vanille trop présente, et sa texture est une immense déception. Attention, cette variété espagnole sans intérêt est en train de conquérir nos marchés.

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Le Persimon, crunch, c’est nul © Camille Oger

D’autres variétés non astringentes sont des PCA traitées chimiquement après la cueillette. Les méthodes les plus efficaces consistent àtremper d’abord les fruits dans de l’eau chaude ou à les enfermer dans une chambre remplie degaz carboniqueou de vapeur d’éthanol. A Taïwan, on a recours à la chaux.

En Israël, on a ainsi mis au point un cultivar PCA au fruit naturellement assez doux et traité au gaz carbonique pour encore plus de douceur, dont la peau à l’apparence cireuse et opaque – comme le Persimon – se mange, le Sharon. Là aussi, on le croque littéralement comme une pomme. Sans graines, moins intéressant d’un point de vue aromatique que les autres PCA et pourtant largement disponible dans le commerce, il n’est pas apprécié des amateursde kakis purs et durs.

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Le Sharon après dégustation © Camille Oger

Aux États-Unis, les immigrants japonais ont introduit le kaki depuis le XIXe siècle en Californie et ont développé d’autres variétés, mais il existait déjà sur place un autre cousin du Diospyros lotus et du Diospyros kaki, le Diospyros virginiana, déjà connu et consommé par les Indiens d’Amérique depuis des millénaires. La présence de ces cousins européens et américains a facilité l’introduction des variétés japonaises et chinoises en permettant de greffer les nouveaux cultivars plutôt que de les planter.

Délicieux et bon pour la santé

Bon, il y a donc de plus en plus de kakis partout, mais pourquoi ? Pas seulement parce que c’est délicieux, voyez-vous. En Asie, on prête depuis longtemps à ce fruit des vertus médicinales. Il est par exemple réputé réguler le Qi en Chine, comprenez la force vitale, le flux d’énergie. Et à mesure qu’on l’examine, on se rend compte que ce n’est pas du pipeau.

Pour ce qui est de l’énergie, pas de doute, le kaki est un concentré de glucose – il en contient jusqu’à 20% – et il donne une pêche d’enfer. Il est également plus riche que tout autre fruit en vitamine A, bourré de vitamine C, de bêta-carotène et de lycopène, d’excellents antioxydants. Le Fonds Mondial de Recherche contre le Cancer recommande d’ailleurs la consommation de lycopène pour lutter contre de nombreux cancers.

Aussi, le docteur Shela Gorenstein de l’université de Jérusalem apublié une étudedémontrant que la forte teneur de ce fruit en fibres, minéraux et polyphénols permettait de combattre l’athérosclérose, un encombrement des artères qui mène aux maladies cardio-vasculaires et attaques cardiaques.

Uneautre étudemenée par des chercheurs de l’université de Toyama au Japon et publiée dans leJournal of Agricultural and Food Chemistrya démontré qu’un régime riche en kakis améliore le métabolisme lipidique, c’est-à-dire la manière dont le corps assimile les graisses, en testant le fruit sur des rats de laboratoire. Au passage, il s’avère bénéfique contre le diabète gras.

… Ou mauvais si on n’est pas très intelligent

Génial ? Oui, mais pas que. Le kaki n’est pas sans risque pour l’étourdi qui les consomme verts ou oublie de les peler. Les tanins du fruit se polymérisent alors au contact de l’acide de l’estomac pour former des amas durs comme du bois et impossibles à digérer, appelésbézoards.Pour les éliminer, seul le laser est efficace. Lorsqu’un bézoard provient de végétaux, on l’appelle phytobézoard. Mais comme85% d’entre eux proviennent de kakis, on leur a carrément attribué un nom rien qu’à eux, les diospyrobézoards.

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Ne mange pas la peau, bougre d’âne © Camille Oger

Sachez-le donc, le kaki astringent ne se mange que blet, et il faudra le peler.Ne l’accompagnez jamais de crabenon plus, les protéines du crustacé et les tanins du fruit formant une combinaison favorisant ces fameux bézoards.

Mais n’ayez crainte, profitez de la saison, jusqu’à la fin de l’année. Et si vous n’en avez jamais goûté, ne commencez pas par les variétés non astringentes qui vous donneront une mauvaise image de ce fruit fabuleux. Pour en savoir plus sur les kakis, vous trouverez sur ce site différents articles : Kakis du Japon, sur les variétés japonaises, Hoshigaki, le kaki séché, sur le séchage des kakis dans les montages japonaises, et Kakis séchés faits maison pour obtenir la recette – simplissime – des kakis séchés comme au Japon.

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